Le cancre est là

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Le travail

14/04/2014 - 10 commentaires

J'inaugure une nouvelle catégorie "À la poursuite de Keynes". Il ne s'agit pas là de faire une thèse sur le sujet, mais de survoler les notions essentielles, les concepts impliqués et comment ils s'articulent ensemble pour former le monde d'aujourd'hui.

Parce que, bon, j'avais envie de parler de la fumisterie keynésienne. Mais avant cela, il faut savoir ce qu'est le salaire.

Je me suis donc dit que j'allais parler du salaire. Mais on ne peut pas parler du salaire sans parler du travail salarié.

J'allais donc attaquer le travail salarié, mais on ne peut pas bien le faire sans parler du travail en général.

Alors, bordel, qu'est-ce que le travail ? Vaste question qui prend racine chez nos aïeux latins : le tripalium, instrument de torture à trois pieux. Le verbe travailler vient de "tripaliare" : torturer avec le tripalium. C'est bien joli, mais ça ne nous dit pas grand chose.

On pourrait dire que le travail comprend 2 des 6 facteurs de production du capitalisme : la force de travail et le capital humain (connaissances, formation, expérience, etc.) ; pour ensuite parler de capital physique, naturel, immatériel, etc. Mais ça serait chiant et on larguerait beaucoup de monde au passage, alors que, bon, déjà qu'il n'y en a pas beaucoup qui viennent se perdre ici, alors si c'est pour qu'ils se cassent en courant...

Alors, bon, SIMPLEMENT, qu'est-ce que le travail ? Mettons de côté la définition physique du terme pour nous pencher sur le travail humain, au sens socio-économique.

Étonnamment, comme le tripalium, on peut diviser la notion de travail en 3 grands pieux grandes catégories, relatives au contexte de l'usage de la force de travail d'un être humain :

- le travail forcé
- le travail subordonné
- le travail libre

Penchons nous donc sur ces 3 notions.

Le travail forcé


A priori, le travail forcé, c'est une notion simple, tout le monde voit ce que c'est. Il s'agit d'un travail qu'on est forcé d'effectuer, sans contre-partie. On pourrait penser que le travail forcé a disparu de nos contrées, pourtant il n'en est rien.

S'il est vrai que la corvée (au sens médiéval du terme) commence à disparaître dès la fin du XIe siècle avec l'utilisation étendue de la monnaie, elle ne disparaîtra totalement en France qu'en 1789, avec la fin du système féodal. On retrouve les stigmates de ce temps dans des expressions comme "corvéable à merci". Une corvée qui était mal ou pas exécutée se voyait punie, assez sévèrement.

L'esclavage, qui mettra bien plus de temps à disparaître, en est une autre forme. Il n'a d'ailleurs pas encore tout à fait disparu. L'esclavage se repose sur les esclaves, des êtres humains privés de toute liberté, considérés comme des biens matériels. La différence fondamentale avec une chaise, par exemple, c'est que l'esclave possède une force de travail, qu'il est tenu de mettre au service de son propriétaire. Il est d'usage d'apporter les moyens de survie à ses esclaves : nourriture et abris. Rarement plus. Parfois moins. Il n'était pas rare qu'un esclave qui n'était pas assez productif soit exécuté, ou laissé à l'abandon. De sorte que le seul choix possible était "le travail ou la mort".


Travaux forcés de prisonniers en Caroline du Sud - 1934


Un autre travail forcé se retrouve sous forme de sanction pénale : il s'agit bien sûr des travaux forcés, ou travaux d'intérêt général (TIG) en France. L'idée est ici de proposer à un condamné de payer la dette qu'il a envers la société par sa force de travail. On retrouve cette notion dans certaines BD, comme Lucky Luke où les Dalton cassent des cailloux, le boulet au pied. Aujourd'hui, les TIG prennent la forme de travaux de voirie, de travail associatif, etc. Si le TIG n'est pas accepté, c'est la prison ou l'amende (selon les cas). C'est en général la facette du travail forcé qui paraît la plus légitime, et la seule à avoir cours légal en Occident.

Ça, c'est pour la partie facile. Passons à un morceau un peu plus corsé...

Le travail subordonné


Si je vous dis "travail subordonné", vous pensez sans doute au salariat, à une hiérarchie, etc. Et bien non. C'est un tout petit peu plus complexe que ça. Commençons par faire peur avec une définition marxiste. Nous allons donc parler du travail subordonné à la valorisation d'un capital. Bouh !

Pour faire un peu plus simple, le travail subordonné est en fait subordonné à la production d'un bien ou d'un service grâce à des moyens de production qui appartiennent à une personne (morale ou physique) privée.

C'est pas plus simple ? Non ? Alors faisons TRÈS simple. Le travail subordonné, c'est produire un bien ou un service dont la méthode, la machine et/ou la finalité ne vous appartiennent pas, au profit d'une autre personne. Le plus souvent dans des conditions imposées qu'on ne vous propose pas de négocier. En clair, vous fournissez votre force de travail en échange de quelque chose. Ce quelque chose, c'est dans l'immense majorité des cas, un salaire, dont nous verrons la nature exacte dans un autre article.

Le travail subordonné est donc le travail qui augmente la valeur des possessions d'un autre. Une toute petite partie de cette valorisation revient à celui qui a fournit le travail. Le travail subordonné, c'est le travail que vous ne décidez pas. Vous ne décidez pas de comment vous l'accomplissez, pourquoi vous l'accomplissez et comment il sera utilisé. Le travailleur subordonné donne sa force de travail pour un usage dont il n'a pas la maîtrise. Il est, de fait, soumis à une triple subordination (qui a dit "tripalium" ?) :

- une subordination de hiérarchie (en immense majorité constituée d'autres travailleurs subordonnés) qui est destinée à s'assurer du plein contrôle de la force de travail ;
- une subordination de moyen, car l'employé, ne disposant pas de moyens de production propres, est soumis à la bonne utilisation de l'outil de travail qu'on lui fournit, selon des règles qu'on lui impose, sans négociation, et parfois au péril de sa propre vie ;
- une subordination de production de valeur ajoutée, qui est la finalité de son travail, c'est à dire que son travail sera valorisé par la suite, au dessus de ce qu'il touchera en échange, la différence allant dans les poches du possesseur des moyens de production.


Une usine


Le travail subordonné est très ancien mais ne prend vraiment pied en France qu'aux alentours de 1789, avec la fin du féodalisme et la montée de la bourgeoisie et du capitalisme industriel. Il ne prend la forme du salariat moderne qu'au début du XXe siècle avec la fin des contrats de louage et la création du contrat de travail. Le contrat de louage supposait une égalité entre le patron et l'employé alors que le contrat de travail reconnaît la position de domination du patron sur l'employé et pose ainsi la première pierre de la protection de ce dernier. Nous sommes bien dans la subordination, totale, le contrat de travail reconnaissant, de fait, l'aliénation de l'employé au patron.

Aujourd'hui, le travail subordonné, sous la forme du salariat, représente 91+% des actifs en France (source INSEE - 2012). Si ça marche si bien, c'est que c'est un des meilleurs moyens pour valoriser un capital, après le travail forcé.

Sur les deux types de travail que nous venons de voir, aucun ne nous appartient. Est-ce à dire que le travail ne nous appartient pas ? Cette question tombe (étrangement) à pic car nous allons désormais aborder la dernière catégorie de travail, certainement la plus plaisante.

Le travail libre


Le travail libre, ça sonne bien, mais qu'est-ce ? Demandez autour de vous ce qu'est le travail libre, et vous aurez une chance sur deux pour qu'on vous réponde "un travail librement consenti". Raté.

On pourrait résumer le travail libre comme étant du travail non forcé et non subordonné. Cette définition par exclusion, si elle a le mérite d'être rapide, empêche cependant de se pencher sur ce qu'est réellement le travail libre.


La Liberté guidant le peuple - Eugène Delacroix
La révolution, du travail libre ?



Le travail est libre si votre force de travail est utilisée de la manière dont vous le décidez, aux fins que vous voulez, pour une production qui vous appartient. Il est donc inacceptable, pour un grand capitaliste, que cette force de travail n'aille pas à la valorisation de son capital. Et pourtant, du travail libre, il y en a partout.

Les professions libérales, où la force de travail est mise au service de la personne qui fournit cette force et dont le produit lui revient, c'est du travail libre.

Mais le travail libre, ce n'est pas forcément un métier exercé en échange d'argent ou dans un but marchand.

Le jardinage dans votre jardin, par exemple, c'est du travail libre. Encore faut-il posséder une terre. Le bricolage, c'est du travail libre. Un potager, c'est du travail libre.

Mais allons encore plus loin.

La retraite, c'est du travail libre : vous êtes payés pour effectuer ce que vous désirez, comme vous le désirez, au moment où vous le désirez.

Les congés payés, ironiquement, ça peut aussi être du travail libre.

Ce site, c'est du travail libre.

Mais si je donne ici des exemples, ils ne sont pas exhaustifs, loin de là. D'ailleurs, un travail donné peut-il appartenir à plusieurs catégories ?

Une seule catégorie pour un travail ?


En effet, est-ce que le travail entre dans une catégorie selon ce qu'il produit ? Le fait de construire une voiture est-il nécessaire du travail subordonné ? L'Histoire n'est-elle pas pleine d'exemples de travaux forcés devenus subordonnés ? La récolte du coton, la construction de routes, etc.

Nous sommes donc en droit de nous demander si c'est la nature du travail en lui même qui fait qu'il serait forcé, subordonné ou libre.


Après le travail - Evariste Carpentier


Les coopératives ouvrières sont l'exemple type du travail libre : les outils de production, les décisions et la production appartiennent à ceux qui fournissent leur force de travail. Ainsi la construction de voitures n'est donc pas forcément un travail subordonné, ni la production d'acier, ou le développement logiciel, ou encore la recherche, ou bien l'entretien des voiries. Le fait de faire du travail subordonné le modèle dominant est un choix politique, proposé et appuyé par ceux qui détiennent déjà les moyens de production, à leur seul avantage.

La volonté de cacher et d'empêcher le travail libre tient au fait que si les employés commencent à effectuer leur métier sous forme de travail libre, les grands détenteurs de capitaux n'auront bientôt plus de force de travail pour valoriser leur capital. Lorsque cette force de travail exploitée représente plus de 90% de la force de travail disponible d'un pays, je vous laisse imaginer l'ampleur du désastre pour lesdits capitalistes.

Conclusion


Voilà comment on peut présenter et analyser le travail, selon ces 3 grandes catégories. Si le travail subordonné représente aujourd'hui l'essentiel du travail rémunéré et reconnu, l'omniprésence du travail libre dans la quasi-indifférence donne une indication sur la capacité des détenteurs des moyens de production à imposer leur vision des choses. Pourtant "tout travail mérite salaire". Quelle est donc la nature de ce salaire, propre non pas au travail, mais au seul travail subordonné ? Quelle est sa fonction ? D'où vient-il ? Que représente-t-il ? Est-ce à ce point une charge pour "l'entreprise" ?

La suite au prochain épisode...

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Crédit photo : Wikimedia
Librement et vaguement inspiré par la SCOP Le Pavé

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