Q
29/05/2013
Classe Mars
Commandant Harrison
Le commandant Harrison regardait son écran tactique avec un petit sourire. Ses yeux bleus brillaient d'un air menaçant alors que ses cheveux et sa barbe châtains taillés courts donnaient l'impression de se hérisser telles autant d'épines. Rares étaient devenues les prises de cet ordre ces derniers temps. Avec la recrudescence de la piraterie spatiale, les grandes compagnies privilégiaient plutôt les petits vaisseaux rapides que les gros porteurs afin d'acheminer leur fret. L'humeur de l'équipage s'en était ressenti : des prises plus petites demandaient beaucoup plus de travail pour entretenir un rythme de vie auquel le commandant et ses hommes s'étaient habitués depuis qu'ils avaient abandonné la flotte de la Fédération pour leur activité beaucoup plus lucrative. Et la prise du gros vaisseau marchand poussif qui venait d'entrer à portée de leurs missiles serait très certainement fêtée avec une gueule de bois de plusieurs jours.
Le Bellérophon était un vaisseau marchand de 135 000 tonnes à vide. Ses énormes soutes pouvaient contenir pour plusieurs millions de crédits et étaient donc réservées habituellement pour le fret dans les zones bien protégées. Malheureusement, celui-ci avait été racheté par une petite compagnie de fret qui n'avait eu d'autre choix, par un malheureux hasard, que d'envoyer ce vaisseau ravitailler le système Raclus, comprenant une seule planète habitable et 2 autres telluriques, aux marges de la Fédération. Raclus-B, dans le système de Raclus, était la dernière planète colonisée par l'Humanité et avait beaucoup souffert du retrait des troupes de la Fédération des Marges, il y a 10 ans. Elle avait donc décidé, comme de nombreuses autres planètes, de s'équiper elle-même de vaisseaux de défense. Le Bellérophon ne pouvait néanmoins pas compter sur eux. La sortie du saut hyper-spatial avait placé le marchand à plus de 200 millions de kilomètres de l'étoile de Raclus, comme c'était la règle pour éviter les effets néfastes de la gravitation, et le vaisseau armé raclusien le plus proche était une frégate située en orbite autour de Raclus-C, à quelques 30 millions de kilomètres. Le Puma, croiseur de classe Mars commandé par le commandant Harrison et actuellement en chasse d'un juteux vaisseau marchand, se trouvait à moins de 4 millions de kilomètres de ce dernier, et il s'en rapprochait de plus d'un million par heure. Ses 75 000 tonnes faisaient pâle figure à côté du vaisseau marchand, mais ses puissants missiles et ses lasers lourds pouvait sans aucun mal découper un vaisseau avec comme seul défense un bouclier de classe civile destiné à simplement empêcher les débris spatiaux d'endommager la coque à peine blindée comme le Bellérophon.
- "Hector, ouvrez une communication vers le Bellérophon, je crois qu'il est temps de se présenter" dit le commandant Harrison dans un sourire carnassier.
- "Enregistrement lancé commandant"
- "Vaisseau marchand Bellérophon, ici le commandant Harrison du croiseur Puma. Comme vous l'avez remarqué, nous vous donnons actuellement la chasse et il serait préférable pour vous de ne pas nous irriter. Aussi vous demanderais-je de décélérer immédiatement afin que nous puissions vous aborder. Si vous obtempérez, il ne vous sera fait aucun mal. Harrison, terminé."
Alors que le lieutenant envoyait le message qui mettrait plusieurs secondes à arriver au malheureux marchand, le commandant se repassa mentalement les quelques heures qui s'étaient écoulées. L'apparition sur les écrans d'un vaisseau, tout d'abord, alors que le Puma s'apprêtait à passer en hyper pour rejoindre sa "base", bredouille. Ensuite, l'attente de plusieurs longues minutes pour déterminer si les radiations propres aux préparations du passage en hyper semblaient avoir été détectées par le nouvel arrivant, et les données des capteurs passifs affluant lentement. Ce n'est qu'après que le vaisseau marchand se soit enfoncé de plusieurs millions de kilomètres dans la zone "gravitique", où il est impossible de faire un saut hyper-spatial sans risquer de détruire purement et simplement son vaisseau, que le Puma était sorti de son inactivité apparente. Le commandant imaginait la tête du capitaine marchand en voyant apparaître les signaux d'activité que nul vaisseau, pas même civil, ne pouvait manquer à cette distance alors que les réacteurs du Puma tournaient à la puissance maximum. La réaction du capitaine marchand avait été classique par la suite. Surpris et affolé, il avait d'abord tenté de sortir de la zone gravitique afin d'effectuer un saut d'urgence, mais le Puma, fort d'une plus grosse accélération, s'était placé sur sa trajectoire. Si le Bellérophon gardait son accélération actuelle, le Puma l'intercepterait un demi-million de kilomètres avant la limite. Bien sûr, cela s'entendait si le pirate ne tirait pas un seul coup et n'endommageait pas la vaisseau, ce qui n'était pas dans les habitude du commandant Harrison face à des proies récalcitrantes.
- "Pas de réponse commandant" intervint Hector Belakov
- "Peut-être qu'une petite démonstration s'impose. Artilleur, vous savez quoi faire."
Un unique missile s'élança d'un des 20 tubes lance-missiles du vaisseau de guerre et se précipita dans l'espace. Comme les missiles sont inhabités, ils sont moins limités que les vaisseaux spatiaux qui doivent, eux, garder une accélération pouvant être supportée par l'équipage. Même si la technologie des compensateurs avait énormément évolué depuis les premiers pas spatiaux de l'Humanité, ils n'étaient pas assez puissants pour supporter l'accélération de plusieurs milliers de m/s² d'un missile. Le missile mit un peu plus d'une minute pour atteindre le gros porteur puis s'écrasa sur ses boucliers sans détonner. Le commandant Harrison fit un signe à l'officier des communications :
- "Vaisseau marchand, comme vous le voyez, vous êtes déjà à portée de nos missiles. Comme vous le savez sûrement, nous vous intercepterons avant que vous ne puissiez effectuez le moindre saut. Ce qui signifie que vous serez bien avant cela à portée de nos lasers. Je ne souhaite pas vous faire de mal après tout, donc pourquoi ne pas décélérer et nous laisser votre vaisseau ? Harrison, terminé."
À cette distance, les missiles n'étaient pas vraiment efficaces car la mise à jour de leurs plans de tir étaient effectués par le contrôle de tir du vaisseau pirate et retransmis aux missiles. Il aurait bien aimé utiliser des missiles autonomes, mais ceux-ci coûtaient cher et n'étaient vraiment pas nécessaire dans cette situation. À vrai dire, si le marchand ne voulait pas se rendre, le commandant préférerait utiliser ses lasers, bien plus puissants et bien moins chers à utiliser, quitte à détruire une partie de la cargaison.
- "Adam, préparez moi des solutions de tir lasers sur les points faibles des vaisseaux de cette classe. Faites le nécessaire pour l'endommager suffisamment pour l'arrêter, mais conservez ses soutes intactes et si possible ses réacteurs. Si on n'arrive pas à le vider, j'aimerai pouvoir le manœuvrer et le sortir d'ici avant que les raclusiens ne se ramènent" lança Harrison.
Presque 3 heures s'étaient écoulées, et après 2 autres missiles de semonce et aucune réponse de la part du marchand, Harrison avait pris la décision qu'il avait déjà pris maintes fois au cours de ses années de piraterie et qui allait conduire à la mort un bon nombre de stupides marchands. Ainsi, la Hings Stellar Corp, l'employeur actuel du Bellérophon, allait-elle faire passer le message à ses capitaines de se rendre plutôt que de s'entêter de manière totalement absurde.
- "J'ai de multiples échos commandant" intervint l'astrogateur. "Multiples échos aux parages de l'ennemi. On dirait qu'ils larguent une partie de leur cargaison."
- "Envoyez des drones de récupération, et récupérez-en autant que possible."
Il s'agissait de quelque chose de très classique. Lorsqu'il apparaît que la situation est sans issue favorable, bon nombre de marchands jettent les containers de plus grande valeur, équipés de modules de repérage. Ces modules s'activent s'ils reçoivent un code précis sur une fréquence précise et permettent ainsi leur récupération. Seule la compagnie responsable des containers et le vaisseau les transportant connaissent ces caractéristiques. Et la deuxième chose à faire après avoir balancé ses containers par dessus bord est d'effacer toute référence à ces codes dans les ordinateurs de bord. Si le pirate voulait récupérer la précieuse cargaison, il devait envoyer des drones "à l'aveugle" tenter de récupérer les containers à leur dernier endroit connu. Malheureusement, dans l'espace, repérer ce genre d'élément est pratiquement impossible, mais avec un peu de chance... Était-ce pour ça que le marchand avait continué sa route ? Pour s'organiser et balancer les plus grosses valeurs d'abord ? Sur un bâtiment avec d'aussi grosses soutes, c'était probable, bien que le commandant Harrison ne sache pas vraiment quel genre d'humain pouvait préférer sauver sa cargaison plutôt que sa vie. Il haussa les épaules mentalement.
Plus que 15 minutes avant que le marchand se retrouve à portée de lasers du Puma puis encore 20 pour se trouver à portée optimale. Le pirate disposerait ensuite d'une fenêtre de 25 minutes pour découper le vaisseau civil en tranches si celui lui faisait plaisir. Harrison s'installa confortablement dans son fauteuil sur la passerelle du Puma, ce vaisseau dont la Fédération lui avait confié la charge il y a de ça 8 ans. Il se rappela de ce jour où, dînant avec ses officiers, le repas avait tourné autour de la situation des militaires fédéraux. Incapables de subvenir aux simples besoins de leurs familles suite aux coupes budgétaires et aux réductions de salaires de la Fédération, l'option de la piraterie s'était naturellement présentée à eux. Entre deux déploiements ils emmenèrent leurs familles sur une planète dans les Marges puis, lorsqu'ils reprirent leur vaisseau sous les ordres de la Fédération, disparurent, laissant quelques uns de leurs hommes ne désirant pas prendre part à "l'aventure", dans des capsules de secours au milieu de l'espace.
Il observait avec attention le point cramoisi se rapprocher du point bleu au centre de son écran tactique. Dans 10 minutes, la proie allait entre à portée de laser, sans aucun espoir d'en réchapper. Harrison découvrit les dents dans un de ses sourires carnassiers.
- "Changement de statut !" hurla l'astrogateur.
Harrison s'était levé, la bouche ouverte alors que l'écran tactique se modifiait à une vitesse folle. Le vaisseau marchand venait de lever un bouclier de classe militaire et effectuait un demi-tour d'une rapidité inouïe. Le cerveau d'Harrison fonctionnait à toute vitesse mais était incapable de croire ce qu'il voyait. Le vaisseau marchand s'était radicalement transformé, et le Bellérophon avait changé son code de transpondeur. "Quel crétin !" se dit in peto Harrison, "quel crétin je fais !", alors que l'écran tactique avait fini de mettre à jour les données. À la place du Bellérophon s'affichait désormais le Faucon, croiseur lourd de classe Roublard de la Fédération, spécialement conçus pour répondre à la menace pirate.
L'instant d'après, le Puma rua sous les coups des puissants lasers lourds du Faucon dont la portée était largement supérieure. De multiples explosions envahirent la passerelle alors que 12 lasers venaient s'enfoncer dans les entrailles du vaisseau, transperçant sans broncher le puissant bouclier et les plaques de blindage de combat. En à peine 10 secondes, 15 des 20 tubes lance-missiles furent détruits, la totalité des 4 lasers de proue furent désintégrés, ainsi que les 2/3 des 6 lasers de flanc restant. 30% des 350 membres d'équipage furent tués sur le coup et 10%, qui n'avaient aucune raison de revêtir leur tenue de survie face à un simple vaisseau marchand, furent éjectés dans l'espace par les plaies béantes longeant tout le vaisseau. Le Puma ne possédait plus qu'un seul réacteur en état de fonctionnement sur les 4 initiaux. Aucun des compensateurs n'avait lâché, ce qui tenait du miracle alors que tant de compartiments donnait sur l'espace.
Alors que le vaisseau mutilé répandait son atmosphère dans le vide spatial, le commandant Harrison se tourna vers Hector Belakov. Il ouvrit la bouche pour donner l'ordre de se rendre mais la referma lorsqu'il aperçu le corps de l'officier étalé sur sa console, un éclat d'acier planté dans le dos. Au milieu de la fureur des rapports d'avarie, le commandant ouvrit le bras de son fauteuil pour asservir les commandes de communication à son pupitre :
- "Ici le commandant Harrison à vaisseau ennemi. Nous nous rendons. Pitié, on se rend !"
Classe Roublard
Commandant Copala
- "Pitié, on se rend !"
Le commandant Copala était assis dans le fauteuil de commandement en combinaison de combat, comme le reste des officiers sur le pont. Le Faucon était un nouveau type de vaisseau, parfaitement équipé pour imité un gros vaisseau marchand poussif. Les lasers et lance-missiles étaient dissimulés sous des plaques rendant impossible le fait de pouvoir déterminer leur présence par une analyse optique. Même si le commandant estimait, à juste titre, que le pirate qu'ils avaient en joue n'en avait même pas pris la peine. Pourtant, de nombreux éléments permettraient de se douter de quelque chose. Tout d'abord, les aspérités disposées sur le ventre du vaisseau, dissimulant les générateurs de boucliers. C'était d'ailleurs le but de la manœuvre consistant à présenter le dos du vaisseau à l'ennemi en simulant une fuite en dehors de la zone gravitique. Le dos n'étant pas non plus dépourvu de détails sur la nature du bâtiment. Les dispositifs de communication étaient plus nombreux que sur un bâtiment civil, répondant à la nécessité de redondance des bâtiments militaires. Les capteurs, bien que beaucoup plus discrets, étaient aussi bien plus nombreux et clairement d'apparence militaire.
Sur le plan tactique, le fait de devoir se séparer des plaques cachant l'armement pouvait aussi mettre la puce à l'oreille d'un pirate. Bien qu'il soit très classique que les marchands se séparent des containers de valeur lorsqu'ils sont attaqués, si un drone de récupération pirate arrivait à atteindre une des plaques, le pot-aux-roses serait découvert, supprimant l'effet de surprise. Bien que l'effet de surprise ait joué à plein, le Faucon n'a pas grand chose à craindre face aux vaisseaux pirates standards. Bon nombre ne sont que des croiseurs ou des croiseurs légers, voire des frégates. Le fait d'avoir rencontré un croiseur de classe Mars est assez exceptionnel, tout comme l'est le Faucon. Seuls 4 vaisseaux de classe Roublard ont été construits, pour simuler des gros porteurs, devenus rares dans le fret à risque. Les croiseurs légers de classe Renard, bâtis suivant le même principe que le Faucon, sont beaucoup plus nombreux à "jouer au marchand" dans les Marges et seraient facilement surclassés par un croiseur de classe Mars ou même un croiseur léger de classe Jupiter si celui-ci venait à comprendre à qui il avait affaire. C'était d'ailleurs pour cela que l'amirauté avait décidé de les faire patrouiller par deux ou trois, alors que les Roublards devaient se débrouiller seuls.
Sur le plan stratégique, ces faux-navires marchands doivent réduire les actes de piraterie. Et bien que le commandant Copala pensait que la simple peur de rencontrer un tel vaisseau suffise à empêcher quiconque de se lancer dans un acte de piraterie, ses ordres étaient d'une toute autre nature.
- "Ici le commandant Copala du croiseur lourd Faucon de la flotte de guerre de la Fédération. Avez-vous des prisonniers à bord ?"
La réponse du commandant pirate Harrison ne tarda pas :
- "Non. Non, nous n'avons aucun prisonnier à bord, aucun. Nous nous rendons corps et biens."
Le commandant Copala soupira, l'air soudain triste :
- "Je suis au regret de vous informer que mes ordres sont incompatibles avec votre reddition. Je devais simplement m'assurer qu'aucun civil innocent était présent à votre bord."
Il coupa la communication. Le Faucon avait eu plusieurs heures pour ajuster ses solutions de tir, avec une parfaite connaissance des plans du vaisseau ennemi, puisqu'il s'agissait d'un ancien vaisseau de la Fédération. Chaque laser avait détruit exactement ce qu'il devait détruire, laissant intactes la prison de bord, l'infirmerie, les quartiers d'habitation ainsi que les compensateurs qui permettaient à l'équipage de survivre aux plusieurs centaines de gravités devant normalement s'exercer à bord d'un vaisseau avec une telle course.
Le commandant Harrison ne sentit jamais les 4 lasers détruire simultanément les 4 compensateurs du vaisseau mutilé. Il n'eut pas le temps de se rendre compte que son corps se changea instantanément en fines particules. Il ne vit pas non plus, alors que le Faucon s'éloignait de la carcasse de sa proie désormais déchiquetée, la dizaine de missiles nucléaires fondre sur les restes du Puma pour le réduire en cendres.
2 commentaires
Vader_666 - 30/05/2013 à 07:21:46
C'est plutôt agréable à lire et sympa :) Ca me donne un peu de courage pour moi aussi essayer de terminer quelque chose en matière d'écriture xD
Par contre étant un peu maniaque de la mise en forme, je pense qu'il est possible de fluidifier la lecture des dialogues en revoyant la signalétique (j'étais tombé sur cette page http://marcautret.free.fr/sigma/pratik/typo/dialog/ ).
Le cancre - 02/06/2013 à 11:00:12
Merci :)
Si du haut de mes 3 pommes je peux donner un conseil, c'est de publier, ça coûte rien et tu peux avoir des retours intéressants (comme le tiens ;)). La critique est toujours bonne à prendre, le plus dur étant de ne pas prêter la moindre attention à ceux qui vont commenter juste pour te descendre sans rien dire de constructif ^^
Merci pour le lien, j'ai toujours du mal avec les incises du narrateur, que je trouve jamais bien faciles à faire (d'où mon usage du tiret et des guillemets).
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