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Apprendre le numérique

28/02/2013 - 3 commentaires

Il y a quelques temps, plusieurs mois à vrai dire, je suis tombé sur cet article(en). Et plusieurs idées ont fait leur chemin, lentement, petit à petit, mais sûrement. Et c'est un article de Numérama qui m'a fait prendre conscience de quelque chose. Moins qu'une vérité absolue et définitive, il s'agit là d'une piste de réflexion sur la façon de penser le numérique et ce que certains appellent encore la "vie réelle". La séparation du corps et de l'esprit est une chose relativement répandue et cette croyance est peut-être en partie responsable du fait qu'une frange non négligeable de la société a du mal à considérer la "vie numérique" comme faisant partie intégrante de la "vie réelle".


"Fusion du réel et du binaire" | Photo de xfce

Je n'utilise d'ailleurs pas le terme "d'extension de la vie réelle" à dessein : je considère la vie coupée du numérique comme étant une vie diminuée. Le numérique, et Internet, n'est plus une "extension" : cela fait partie intégrante de notre vie, de nos modes de communication, de nos moyens et sources d'apprentissage, de la gestion de notre mémoire, de nos moyens de nous orienter et de coopérer, de travailler, de nous informer, de nous révolter, etc.

Alors, oui, ça pose des questions. Mais fuir ces questions en tentant de séparer ce qu'ils appellent "vie réelle" et "vie virtuelle" ne fait qu'engendrer des maux sans apporter un seul remède. Cette séparation est la source des "tragédies d'Internet" où une personne, inconsciente de la confusion de ces "deux mondes" en un seul et unique, voit sa vie privée entièrement diffusée, à la vitesse de l'électron, à travers le monde. Cette séparation est aussi responsable de l'attitude parfois méprisante de certains "défenseurs de la liberté" qui refusent de s'engager dans le combat, par exemple, de la liberté d'expression sur Internet au motif que "c'est virtuel". Ce mépris s'exprime généralement en considérant les questions liées aux libertés numériques comme "secondaires" : le peu d'intérêt porté à la question des DRM en est une manifestation. Et qu'est-ce que ce refus de voir que ces "deux mondes" ne forme qu'un seul et même environnement apporte comme bénéfice ? Aucun, l'aveuglement a toujours été un handicap.

Or il y a un besoin de compréhension, d'identification, d'orientation dans ce "nouveau monde". Il est palpable dans les articles vantant les "méthodes pour se désintoxiquer d'Internet" et autres "modèles de vie déconnectés". Bien sûr qu'il y a des dangers, des pièges, et même des catastrophes possibles, surtout si on continue à promouvoir une vision dualiste du monde, avec d'un côté le numérique et de l'autre le physique. Beaucoup feront des erreurs, beaucoup en ont déjà fait.

On aurait pu penser qu'après plus de 20 ans d'existence du Web (cet aspect le plus fréquenté d'Internet) on aurait pu se forger des barrières, des méthodes, des chemins, pour appréhender ce monde et sa fusion avec "le réel". Il n'en a rien été. L'identité collective Anonymous est toujours incomprise du plus grand nombre, les données personnelles transitent en clair et par blocs entiers sur les réseaux, les contenus sont centralisés, on expose Internet comme étant une "zone de non-droit" tout en lui permettant d'intégrer nos téléviseurs, nos caméras de surveillance, nos systèmes de contrôle des centrales atomiques et nos interphones pour enfants y sont reliés. L'immense majorité des utilisateurs d'Internet et des produits numériques fuit en avant, aveuglés par la pensée qu'une fois la connexion coupée, ils sont "déconnectés".

Et lorsqu'il y a un problème, "c'est de la faute d'Internet". Non pas de notre incapacité à appréhender et à (méta-)concevoir notre utilisation de cet outil, non non non ; tout est de la faute d'Internet, comme si "Internet" était une entité consciente avec sa propre volonté. Serait-ce donc cette "conscience autonome" fantasmée qui nous empêcherait de concevoir Internet comme "notre monde" et non "un autre monde" ? Accuserait-on le marteau de notre vive douleur aux doigts ?

Il est vrai que nous n'avons pas pu nous préparer à l'explosion de la numérisation de notre monde. Nous ne l'avons pas vu. Je suis de la génération qui a vu ce monde se créer, la magnifique genèse d'un vrai "patrimoine commun de l'Humanité", où chacun, pour un coût négligeable, peut apporter sa pierre, son savoir, son savoir-faire, ses remarques et ses critiques à l’édifice. Mieux encore : chacun peut se documenter, apprendre, s'ouvrir, communiquer, à un coût encore plus dérisoire. L'ouverture de l'humain sur son propre monde et ses semblables est une rupture historique comme jamais l'Humanité n'en a vécu. Internet, c'est la pierre taillée, le feu, le bronze, l'agriculture, l'écriture, la roue, l'imprimerie, la navigation à voile, le vaccin, la vapeur, l'électricité, la conquête de l'espace et la fission nucléaire réunis !

Et nous ne savons pas appréhender cet outil. Même ceux dont les métiers sont directement impliqués ont du mal à le concevoir. Et c'est cette immensité, cet espace de liberté quasi-total et inédit qui fait peur. Peur à ceux qui ne veulent pas essayer, qui subissent ce changement sans avoir rien demandé et qui, au final, renoncent et veulent détruire cette "boite de Pandore" qui les menace soit directement (commercialement, politiquement...), indirectement et/ou irrationnellement. Alors on considère Internet (enfin, le Web particulièrement) comme une "drogue" à laquelle les intégrés seraient "accrocs", comme une menace pour "l'économie réelle" et contre "la liberté d'expression" par son effet négatif sur la presse papier historique (cette même presse papier totalement dépendante des subventions étatiques et du bon vouloir de leurs entreprises actionnaires, voilà pour "l'indépendance" et la "liberté"), responsable du "piratage" par "incitation au téléchargement illégal".

Alors que faire, nous qui sommes au mieux mal équipés au pire désarmés ? La réponse est à la fois évidente et complexe. J'ai passé mon temps à décrire un outil numérique, Internet, qui permet l'interconnexion des réseaux. Utilisons le pour nous l'approprier ! Explorons les possibilités, tâtonnons, ouvrons-nous, inventons nos propres méthodes, à nous adapter sans cesse... Apprenons à marcher dans cette nouvelle réalité, celle qui, en définitive, impose de ne jamais rien croire sur parole, de s'investir, de vérifier, à toujours évoluer, s'adapter, de prioriser, de s'inventer, de se créer. Car nous n'existons que par le regard des autres. En définitive, la "fusion du numérique et du physique" oblige à se frayer seul un chemin dans un monde commun en s'appuyant sur ses interactions multiples avec les autres. Les plus curieux s'en sortiront donc mieux et plus facilement que ceux qui attendent qu'on leur trace un chemin. C'est donc non seulement un nouveau monde à réapprendre mais aussi une toute nouvelle dimension sociale à forger.

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