Il y a quelques temps, plusieurs mois à vrai dire, je suis tombé sur cet article(en). Et plusieurs idées ont fait leur chemin, lentement, petit à petit, mais sûrement. Et c'est un article de Numérama qui m'a fait prendre conscience de quelque chose. Moins qu'une vérité absolue et définitive, il s'agit là d'une piste de réflexion sur la façon de penser le numérique et ce que certains appellent encore la "vie réelle". La séparation du corps et de l'esprit est une chose relativement répandue et cette croyance est peut-être en partie responsable du fait qu'une frange non négligeable de la société a du mal à considérer la "vie numérique" comme faisant partie intégrante de la "vie réelle".
"Fusion du réel et du binaire" | Photo de xfce
Je n'utilise d'ailleurs pas le terme "d'extension de la vie réelle" à dessein : je considère la vie coupée du numérique comme étant une vie diminuée. Le numérique, et Internet, n'est plus une "extension" : cela fait partie intégrante de notre vie, de nos modes de communication, de nos moyens et sources d'apprentissage, de la gestion de notre mémoire, de nos moyens de nous orienter et de coopérer, de travailler, de nous informer, de nous révolter, etc.
Alors, oui, ça pose des questions. Mais fuir ces questions en tentant de séparer ce qu'ils appellent "vie réelle" et "vie virtuelle" ne fait qu'engendrer des maux sans apporter un seul remède. Cette séparation est la source des "tragédies d'Internet" où une personne, inconsciente de la confusion de ces "deux mondes" en un seul et unique, voit sa vie privée entièrement diffusée, à la vitesse de l'électron, à travers le monde. Cette séparation est aussi responsable de l'attitude parfois méprisante de certains "défenseurs de la liberté" qui refusent de s'engager dans le combat, par exemple, de la liberté d'expression sur Internet au motif que "c'est virtuel". Ce mépris s'exprime généralement en considérant les questions liées aux libertés numériques comme "secondaires" : le peu d'intérêt porté à la question des DRM en est une manifestation. Et qu'est-ce que ce refus de voir que ces "deux mondes" ne forme qu'un seul et même environnement apporte comme bénéfice ? Aucun, l'aveuglement a toujours été un handicap.
Or il y a un besoin de compréhension, d'identification, d'orientation dans ce "nouveau monde". Il est palpable dans les articles vantant les "méthodes pour se désintoxiquer d'Internet" et autres "modèles de vie déconnectés". Bien sûr qu'il y a des dangers, des pièges, et même des catastrophes possibles, surtout si on continue à promouvoir une vision dualiste du monde, avec d'un côté le numérique et de l'autre le physique. Beaucoup feront des erreurs, beaucoup en ont déjà fait.
On aurait pu penser qu'après plus de 20 ans d'existence du Web (cet aspect le plus fréquenté d'Internet) on aurait pu se forger des barrières, des méthodes, des chemins, pour appréhender ce monde et sa fusion avec "le réel". Il n'en a rien été. L'identité collective Anonymous est toujours incomprise du plus grand nombre, les données personnelles transitent en clair et par blocs entiers sur les réseaux, les contenus sont centralisés, on expose Internet comme étant une "zone de non-droit" tout en lui permettant d'intégrer nos téléviseurs, nos caméras de surveillance, nos systèmes de contrôle des centrales atomiques et nos interphones pour enfants y sont reliés. L'immense majorité des utilisateurs d'Internet et des produits numériques fuit en avant, aveuglés par la pensée qu'une fois la connexion coupée, ils sont "déconnectés".
Et lorsqu'il y a un problème, "c'est de la faute d'Internet". Non pas de notre incapacité à appréhender et à (méta-)concevoir notre utilisation de cet outil, non non non ; tout est de la faute d'Internet, comme si "Internet" était une entité consciente avec sa propre volonté. Serait-ce donc cette "conscience autonome" fantasmée qui nous empêcherait de concevoir Internet comme "notre monde" et non "un autre monde" ? Accuserait-on le marteau de notre vive douleur aux doigts ?
Il est vrai que nous n'avons pas pu nous préparer à l'explosion de la numérisation de notre monde. Nous ne l'avons pas vu. Je suis de la génération qui a vu ce monde se créer, la magnifique genèse d'un vrai "patrimoine commun de l'Humanité", où chacun, pour un coût négligeable, peut apporter sa pierre, son savoir, son savoir-faire, ses remarques et ses critiques à l’édifice. Mieux encore : chacun peut se documenter, apprendre, s'ouvrir, communiquer, à un coût encore plus dérisoire. L'ouverture de l'humain sur son propre monde et ses semblables est une rupture historique comme jamais l'Humanité n'en a vécu. Internet, c'est la pierre taillée, le feu, le bronze, l'agriculture, l'écriture, la roue, l'imprimerie, la navigation à voile, le vaccin, la vapeur, l'électricité, la conquête de l'espace et la fission nucléaire réunis !
Et nous ne savons pas appréhender cet outil. Même ceux dont les métiers sont directement impliqués ont du mal à le concevoir. Et c'est cette immensité, cet espace de liberté quasi-total et inédit qui fait peur. Peur à ceux qui ne veulent pas essayer, qui subissent ce changement sans avoir rien demandé et qui, au final, renoncent et veulent détruire cette "boite de Pandore" qui les menace soit directement (commercialement, politiquement...), indirectement et/ou irrationnellement. Alors on considère Internet (enfin, le Web particulièrement) comme une "drogue" à laquelle les intégrés seraient "accrocs", comme une menace pour "l'économie réelle" et contre "la liberté d'expression" par son effet négatif sur la presse papier historique (cette même presse papier totalement dépendante des subventions étatiques et du bon vouloir de leurs entreprises actionnaires, voilà pour "l'indépendance" et la "liberté"), responsable du "piratage" par "incitation au téléchargement illégal".
Alors que faire, nous qui sommes au mieux mal équipés au pire désarmés ? La réponse est à la fois évidente et complexe. J'ai passé mon temps à décrire un outil numérique, Internet, qui permet l'interconnexion des réseaux. Utilisons le pour nous l'approprier ! Explorons les possibilités, tâtonnons, ouvrons-nous, inventons nos propres méthodes, à nous adapter sans cesse... Apprenons à marcher dans cette nouvelle réalité, celle qui, en définitive, impose de ne jamais rien croire sur parole, de s'investir, de vérifier, à toujours évoluer, s'adapter, de prioriser, de s'inventer, de se créer. Car nous n'existons que par le regard des autres. En définitive, la "fusion du numérique et du physique" oblige à se frayer seul un chemin dans un monde commun en s'appuyant sur ses interactions multiples avec les autres. Les plus curieux s'en sortiront donc mieux et plus facilement que ceux qui attendent qu'on leur trace un chemin. C'est donc non seulement un nouveau monde à réapprendre mais aussi une toute nouvelle dimension sociale à forger.
Tags de l'article :
Résumé des épisodes précédents
Samedi 2 Février 2013, l'article 1er de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a été voté. Lorsque cet article sera promulgué, il inscrira dans la loi que "Le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe". Si le combat législatif pour cette loi n'est pas encore gagné (il reste tous les autres articles, notamment relatifs à l'adoption), cette première victoire est un symbole très fort, la pierre nécessaire et primordiale pour l'égalité des droits.
Lorsque le projet de loi a été annoncé, honnêtement, je m'en foutais. L'institution du mariage n'est pas quelque chose qui me concerne ; je ne pensais pas un jour défendre cette institution bourgeoise, ni défendre un ministre d'un gouvernement socialiste, et les associations LGBT savent très bien se défendre, militer, et défendre leurs droits (si certainEs en doutaient, les derniers mois devraient largement convaincre) ; ce débat aurait donc dû être éloigné de mes préoccupations, notamment dans le contexte économique et social actuel.
C'était sans compter la réplique homophobe. Et soyons clairs une bonne fois pour toutes : refuser l'égalité des droits et/ou faire des homosexuelLEs des citoyenNEs de second rang C'EST de l'homophobie. No exception.
La réplique homophobe donc, que ce soit au nom de la "famille", de la religion ou autres conneries bourgeoises, a traversé le pays pendant des mois, et continue de le faire. Les propos violents, les menaces, les contre-vérités, l'endoctrinement, les sophismes, la violence physique, la haine qui s'affichait sans filtre à l'encontre des LGBT, faisant même montre d'une certaine fierté, étaient à vomir. Vint alors l'appel à la manifestation pour l'égalité regroupant les LGBT et les "hétéros solidaires". Dur dilemme : défendre le mariage (pour tous) ne faisait pas partie des "combats" que j'imaginais mener un jour. Et j'ai longtemps hésiter. Comme je l'ai dit, le mariage est une institution bourgeoise, et je suis plutôt pour le revoir de fond en comble (notamment la notion de "fidélité" entendue comme "exclusivité", par exemple) mais là n'était pas la question. La question était celle de l'égalité des droits, devant la succession, l'adoption, la protection de la famille, etc.
Et face à la violence homophobe qui se déchaînait, à l'appel des "hétéros solidaires", et à "mon" sens de l'égalité, j'ai manifesté. À chaque fois.
Pas pour l'institution du mariage.
Pour l'égalité de droits entre les citoyens, certes.
Mais surtout parce que dans "hétéros solidaires", il y a "solidaire". Et que voir et entendre les LGBT trainéEs dans la boue, encore considéréEs comme des sous-humains, accuséEs des pires horreurs, affiliéEs aux zoophiles, aux pédophiles et autres déviances ne devrait plus exister en 2013. Qu'en 2013, on ne devrait pas tolérer l'intolérance. Parce que les hordes homophobes qui ont défilé devraient être d'un autre âge, celui de l'obscurantisme. Que l'orientation sexuelle ne devrait pas déterminer une classe de citoyenNEs. Pour montrer que les LGBT ne sont pas seulEs à vouloir les voir jouir des mêmes droits que tout le monde. Parce que, justement, avec qui les LGBT jouissent ne détermine pas si ils et elles seront de bons parents ou non. Parce que la précarité, où qu'elle soit, et quelle qu'elle soit, n'a pas sa place dans une société juste et humaine. Pour montrer que pour chaque acte homophobe, chaque parole homophobe, des hétéros aussi se sentent blesséEs, indignéEs et révoltéEs. Pour montrer que dans leurs combats, les LGBT ne sont pas seulEs et qu'ils et elles peuvent compter, quand et s'ils et elles le désirent, sur des personnes prêtent à faire front avec elleux. Pour toutes ces raisons, et bien d'autres, j'ai manifesté à leurs côtés, à leur appel.
Rions avec nos députés
Et ce combat, dont une victoire primordiale a été remportée, nous aura appris, s'il y avait encore un doute, plusieurs choses lors des débats parlementaires. Parce que chaque lutte n'est supportable que si elle comporte sa dose d'humour, rions ensemble, si vous le voulez bien, de ces quelques enseignements apportés par nos chers députés :
- L'UMP, le centre et le FN ne savent pas lire un texte de loi ; s'inquiétant de la filiation alors qu'aucun article ne modifie ces dispositions, ces partis n'ont eu de cesse de rappeler ce "danger pour notre société". Legislative Wars - Épisode I : La menace vraiment fantôme.
- Les "rappels au règlement" permet à n'importe qui, n'importe comment, de dire ce qu'il pense, mais jamais concernant le "règlement", en dehors de la liste des intervenants normalement constituée. Monty Python and the Holy Grail.
- L'UMP a un problème avec la GPA, mais je n'ai pas bien compris ce qu'il était ; j'ai hâte qu'ils remettent ça pendant les discussions sur la PMA en Mars ! Las Vegas UMParano.
- L'UMP et le centre ont un sérieux problème avec la hiérarchie des normes. Ils sont persuadés qu'une circulaire peut outrepasser la Loi. Judge Dredd.
- L'UMP est un grand défenseur du droit des femmes, à entendre ses députés qui semblaient extrêmement concernés. Bon, ça aurait été mieux si ça avait été des femmes qui défendaient cette position, mais il semblerait qu'on ne puisse pas défendre le droit des femmes ET respecter la loi sur la parité. Le parrain - avec Laurent Wauquiez.
- L'UMP, le centre et le FN sont pour l'égalité des droits hein. Mais pas pour l'égalité pour l'adoption. Ni pour l'éducation des enfants par des homos, faut pas déconner non plus. Invictus.
- L'UMP considère qu'il y a d'autres priorités en cette période de crise. Ils préféreraient certainement qu'on suive leur exemple de bonne gestion de crise : mettons en place un grand débat sur "l'identité nationale" ! French History X.
- L'UMP, le centre et le FN considèrent que ce changement de société est tellement important qu'il nécessite un référendum sur la question, alors que plus de 60% des français se déclarent favorables à ce projet de Loi (86% de la "jeune génération", celle qui "héritera" de cette société). Lorsque l'UMP était au pouvoir, en revanche, la réforme des retraites, changement structurel et social majeur pour notre société, s'est passée d'un référendum pourtant réclamé par les syndicats et certains parlementaires, et la population était défavorable au projet à 60%. The Dictator.
Et maintenant, la suite...
Ce combat n'est certes pas terminé. Et il y a fort à parier que les réactions homophobes ne vont pas se calmer de sitôt. Peut-être même n'avons nous pas vu le pire. Que peut-on attendre de gens à ce point motivés par la haine ? Je ne sais pas. Certainement pire. Certainement encore plus dégueulasse, ignoble, haineux.
Dans tous les cas, en tant que citoyen, je ne suis pas prêt à laisser un seul centimètre-carré à cette haine. Que peut-on attendre de moi ? De continuer de faire bloc contre l'homophobie et toutes les autres discriminations. Pour que la seule ombre qui plane sur ce pays soit celle du drapeau de l'égalité et non celle de l'obscurantisme et de la haine.
Tags de l'article :