Je vois certain⋅es camarades avoir un peu ce sentiment aussi. Dans ces instants de cristallisation de la société (augmentation des tensions jusqu'à la rupture, mécanisme d'un système en crise), on peut très vite se sentir découragé⋅e, surtout lorsque la pensée dominante est "le syndicalisme ne sert à rien", "de toute façon c'est comme ça" et "les partis, c'est tous pourris".
Je suis moi-même passé par un certain nombre de ces périodes, d'autant plus facilement que je suis en dehors de toute structure militante organisée, un solitaire, une "force d'appoint"... Ce statut me permet en revanche de réellement apprécier une manifestation, où j'y croise des gens que je n'ai pas vu depuis un moment (ces vrais militants engagés et encartés), où je prends des nouvelles, etc. Où je me sens un peu coupable, aussi, de les voir dépenser une énergie folle à longueur d'année quand je garde le luxe de le faire quand je veux.
Ces petits instants de la vie quotidienne, aussi, où tu entends quelque chose de sexiste, raciste, xénophobe, que tu vas pour répliquer et que finalement tu te dis "bah, à quoi bon ?". Tu sais qu'il faut combattre, tu connais les implications de laisser ces idées se répandre, mais que finalement, non, pas cette fois, parce que pffffff. Je dis "entendre" parce qu'il est plus rare de ne rien faire lorsqu'on voit une action.
Et puis, évidemment, les copains et les copines traqué⋅es, tabassé⋅es, tué⋅es parfois dans l'indifférence générale, voire agrémenté d'un "ille l'avait un peu cherché aussi". Et cette connaissance historique que ça ne va pas aller en s'arrangeant, qu'il y aura de plus en plus de blessé⋅es, de mort⋅es, et qu'ils seront majoritairement "de ton côté". Et que les coups les plus rudes sont à venir.
Il y a de quoi déprimer, baisser les bras, tout envoyer au Diable.
Heureusement, l'Histoire permet aussi de garder espoir et joie. Par exemple, en 1936, alors que le syndicalisme était au plus bas des dernières années, avec des mouvements sociaux mous, que le patronat pensait les travailleurs à sa botte (puisqu'il y travaillait très activement, en collaboration avec l'ennemi, depuis 1932), d'un coup, pour une connerie, le mouvement s'est emballé, laissant une marque de "bonne année" à celleux l'ayant vécu.
Si la colère est nécessaire au militantisme, on oublie par trop souvent la joie que cela peut apporter aussi. La joie de la lutte, d'abord, c'est à dire ce sentiment de se battre pour quelque chose de juste. La joie de la victoire, ensuite, qu'il est important de garder à l'esprit, même pour les plus petites batailles. La joie d'être ensemble enfin, se regrouper malgré nos différences pour lutter ensemble dans l'espoir d'un monde meilleur.
Le militantisme, quelle qu'en soit sa forme, nait de la colère, celle de ne pas vouloir laisser des gens dormir dans la rue, ne pas manger à leur faim, être maltraité, souvent pour des raisons de couleur de peau, de genre, de sexe, de frontière ou autre différence ; soit qu'on en soit soi-même victime ou qu'on ne tolère pas que cela se fasse.
Mais c'est aussi beaucoup de joie, souvent très vite oubliée tellement le combat peut sembler rude. Et résister, c'est effectivement aussi se mettre en joie contre cette noirceur dans laquelle on peut tous très vite tomber.