"Malgré cela, on peut percevoir un grand malaise, celui d’une comédie franchouillarde dont les ressorts s’appuient sur la douleur des victimes pour glousser de ces « mecs de quartier » qui sont « trop drôles avec leur manière de parler »."
"Au fond ce qu’on reproche aux accusés c’est de ne pas avoir vécu ces cinq jours comme un moment exceptionnel, de ne pas avoir suivi le rythme frénétique de la France angoissée, d’avoir continué à vivre de leur commerce de drogue, de squat, sans « se poser de questions »."
"« Madame ça fait 27 mois que je suis à l’isolement, j’ai pas vu une promenade depuis 2016, mon cerveau me fait défaut ». Il lui arrive aussi de confondre ce qu’il a appris par la télévision depuis sa cellule et ce dont il avait connaissance au moment des faits, confusion que personne n’ose vraiment remettre en cause."
"Jawad Bendaoud, c’est un briseur d’audience, il la sait intégralement à charge mais refuse de se laisser dépeindre par ceux qui ne le comprennent pas. On l’a déjà assez lynché à la télé, il ne laisse donc rien passer, coupe la parole quand il considère qu’on raconte n’importe quoi sur son compte et se moque bien de la mise en scène du tribunal. La cour est prévenue : « Vous ne m’im-pres-sion-nez pas ! ». Lorsque son avocat lui demande de se taire il s’exclame : « Mais Xavier, il faut qu’ils comprennent ! »."
"Quand il accueille ses locataires clandestins, il a déjà consommé 7 grammes de cocaïne transformés en crack. Il parle de la drogue comme d’un moyen d’oublier, de se détendre. Il veut que l’audience comprenne ce que c’est que de prendre de la drogue. Il veut que l’audience se plonge dans l’état dans lequel il était quand il a accueilli Hasna ait Boulacen, Abdel Hamid Abaaoud et Chakib Akrouh : « Parce que y’a pas de consommateur ici ? [...]"
"« Après ça je rentre chez moi, j’ai mangé mon sandwich poulet Boursin, allumé Netflix invité un pote à moi qui est pas venu. Faudrait que ce soit de la glace dans mon sang pour faire ça en sachant que j’ai des terro chez moi. »"
"Jawad Bendaoud prend beaucoup de place, mais c’est aussi que le déséquilibre est grand, entre son récit et celui auquel il fait face. Son avocat rappellera un autre aspect de ce déséquilibre, « nous sommes quatre avocats en défense, vous êtes 80, et il y a cette vitre entre moi et mon client. Je n’ai pas envie en plus, d’avoir à monter sur ce banc pour lui parler. Je demande à ce qu’on baisse la vitre du box de 20 centimètres pour qu’on puisse se parler à auteur d’homme ». Ce qui est considéré comme une faveur lui sera accordé, à condition que Jawad ne joue pas au con."
"A l’audience : « vous vous posez pas plus de questions sur ceux que vous hébergez ? »
Jawad Bendaoud : « Mais monsieur, c’est comme si vous, vous étiez en galère, on m’appelle on me dit ’ouais y’a un avocat il s’est embrouillé avec sa femme, nin nin nin, il a besoin d’un logement’. Je vous demande pas si vous allez tuer votre femme dans les deux jours suivants. C’est comme dans toutes les cités de France, la curiosité est un vilain défaut ».""Quand on lui demande s’il aurait « prévenu la police si [il avait] su que les locataires du squat étaient des terroristes ? », il répond « je lui aurais envoyé un coup dans sa gueule à Hasna pour lui dire de dégager car tout ça, ça ramène les flics »."
"Finalement, le discours de celui qu’on nous a présenté comme un illuminé, est cohérent."
"« Toi, toi et toi (en désignant les avocats de la partie civile), « c’est mort de chez mort, vous oubliez tout de suite de me poser des questions, je vous ai vu m’insulter à la télévision. Je veux mon droit au silence ». Le silence, il ne peut pourtant pas le garder. Là dessus aussi, on se moque « Vous avez dit droit au silence alors respectez le ! ». Mais comme il ne supporte pas les insinuations derrière les questions, il continue."
" « Je viens de passer 14 mois sans sortir de ma cellule. À ma place, il y a plein de gens qui se seraient coupé les testicules et qui les auraient mis dans une barquette. Vas-y prends, c’est mes testicules ! » « Je suis fini, madame, ma vie elle est finie, quoi que je fasse. Que je sorte ou pas, qui voudra m’embaucher ? Si je veux rouvrir un point de vente de cocaïne qui me fera confiance ? »
Rires dans la salle."
Au final, ce procès démontre parfaitement ce qu'est la justice de classe. Lorsqu'un des avocats des parties civiles dit que "on est face à des jeunes qui ne veulent pas comprendre, qui ne se posent pas de questions", on s'aperçoit très vite que c'est en réalité la justice qui ne s'en pose pas, des questions, que c'est la justice qui ne veut pas comprendre la réalité des personnes qu'elle juge. On attendra la suite du procès, mais il y a peu à parier que les audiences changent quoi que ce soit au verdict : "Jawad" est déjà condamné, il l'a en réalité été dès sa naissance, et il paiera pour ne pas avoir vécu comme "tout bon citoyen" et s'être inquiété comme "tout bon citoyen" l'aurait fait ; et il n'a pas été un "bon citoyen" parce qu'il n'avait rien à y gagner à cette vie là, parce qu'en réalité on ne la lui permettait pas, cette vie là.
Et tout le monde rigole dans la salle, comme on rigole dans un zoo en regardant un animal, qui n'a pas eu le choix, faire des conneries et des grimaces. Rire d'un mec à la ramasse pour oublier le massacre perpétré par des mecs recrutés et/ou entraînés dans un pays qu'on a participé à foutre en ruines. C'est tellement plus facile de se foutre de sa gueule sans se poser de questions et en permettant à un état policier de s'installer tranquillement, au nom de la sécurité, et en préparant toutes les armes nécessaires aux fachos.
Ouais, c'est sûr, c'est follement drôle...