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Contre la criminalisation et la surveillance des militant·es politiques

Mon, 08 Apr 2024 14:44:36 +0000 - (source)

Ce texte a Ă©tĂ© lu par un·e membre de La Quadrature du Net le 5 avril 2024 lors du rassemblement devant le Tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence, Ă  l’occasion des deux nouvelles mises en examen dans l’affaire Lafarge.

On est lĂ  aujourd’hui pour dire notre soutien aux personnes convoquĂ©es, Ă  toutes les personnes placĂ©es en garde Ă  vue et inquiĂ©tĂ©es dans cette affaire. On est lĂ  pour dĂ©noncer l’instrumentalisation de la justice et des services antiterroristes pour rĂ©primer les militantes et militants et dissuader toute forme de dĂ©sobĂ©issance civile. LĂ , enfin, pour dire notre indignation face au recours systĂ©matique Ă  des formes de surveillance intrusives et totalement disproportionnĂ©es.

Les mises en examen de ce jour, ou celles qui les ont prĂ©cĂ©dĂ© dans cette « affaire Lafarge Â», s’inscrivent dans un contexte plus global. Jusqu’Ă  un passĂ© pas si lointain, de nombreuses formes d’action directes Ă©taient tolĂ©rĂ©es par les autoritĂ©s. Mais progressivement, en lien avec la dĂ©rive nĂ©o-libĂ©rale amorcĂ©e dans les annĂ©es 1980, l’espace accordĂ© Ă  la critique d’un système injuste et Ă©cocide a fondu comme neige au soleil. De crise en crise, on a assistĂ© Ă  la consolidation d’un État d’exception, Ă  l’inflation des services de renseignement, Ă  la multiplication de dĂ©rogations au droit libĂ©ral — un droit certes bien trop imparfait, mais qui n’en demeurait pas moins un hĂ©ritage fondamental des luttes passĂ©es. On a Ă©galement vu un pouvoir politique s’entĂŞter au point de ne plus tolĂ©rer la moindre contestation, instrumentalisant le droit commun Ă  coup d’amendes, de dissolutions, de maintien de l’ordre hyper-violent.

Le tout pour rĂ©primer toutes celles et ceux qui ont la dignitĂ© de dire leur refus d’un système Ă  la violence dĂ©complexĂ©e, et le courage de mettre ce refus en actes. Dans ce processus du criminalisation des militant·es, les services de renseignement, de police judiciaire comme les magistrats du parquet peuvent dĂ©sormais s’appuyer sur les exorbitants moyens de surveillance. Autant de dispositifs qui se sont accumulĂ©s depuis 25 ans et qui, dans l’affaire Lafarge et d’autres jugĂ©es rĂ©cemment, s’emboĂ®tent pour produire une surveillance totale. Une surveillance censĂ©e produire des Ă©lĂ©ments sur lesquels pourront s’Ă©difier le rĂ©cit policier et la rĂ©pression.

Cette surveillance, elle commence par l’activitĂ© des services de renseignement. ContrĂ´les d’identitĂ© qui vous mettent dans le viseur des services, camĂ©ras et micro planquĂ©es autour de lieux militants ou dans des librairies, balises GPS, interceptions, analyse des mĂ©tadonnĂ©es, … Tout est bon pour servir les prioritĂ©s politiques et justifier la pĂ©rennisation des crĂ©dits. L’activitĂ© du renseignement consacrĂ©e Ă  la surveillance des militant·es – Ă©rigĂ©e en prioritĂ© depuis la stratĂ©gie nationale du renseignement de 2019 –, elle a doublĂ© sous Macron, passant de 6 % au moins du total des mesures de surveillance en 2017 Ă  plus de 12% en 2022.

Après le fichage administratif, après les notes blanches du renseignement, vient le stade des investigations judiciaires. LĂ  encore, comme l’illustre l’affaire Lafarge, la surveillance en passe par le recours Ă  la vidĂ©osurveillance – plus de 100 000 camĂ©ras sur la voie publique aujourd’hui –, puis par l’identification biomĂ©trique systĂ©matique, notamment via la reconnaissance faciale et le fichier TAJ, ou quand ce n’est pas possible par le fichier des cartes d’identitĂ© et de passeport, l’infâme fichier TES, qui est ainsi dĂ©tournĂ©.

Pour rappel, le recours Ă  la reconnaissance faciale via le fichier TAJ, ce n’est pas de la science fiction. Ce n’est pas non plus l’exception. Il est aujourd’hui utilisĂ©e au moins 1600 fois par jour par la police, et ce alors que cette modalitĂ© d’identification dystopique n’a jamais Ă©tĂ© autorisĂ©e par une loi et que, de fait, son usage n’est pas contrĂ´lĂ© par l’autoritĂ© judiciaire.

Cette reconnaissance faciale, elle est employĂ©e y compris pour des infractions dĂ©risoires, notamment lorsqu’il s’agit d’armer la rĂ©pression d’opposants politiques comme l’ont illustrĂ© les jugements de la semaine dernière Ă  Niort, un an après Sainte-Soline. Et ce alors que le droit europĂ©en impose normalement un critère de « nĂ©cessitĂ© absolue Â».

La surveillance dĂ©coule enfin du croisement de toutes les traces numĂ©riques laissĂ©es au grĂ© de nos vies et nos activitĂ©s sociales. Dans cette affaire et d’autres encore, on voit ainsi se multiplier les rĂ©quisitions aux rĂ©seaux sociaux comme Twitter ou Facebook, l’espionnage des conversations tĂ©lĂ©phoniques et des SMS, le suivi des correspondances et des dĂ©placements de groupes entiers de personnes via leurs mĂ©tadonnĂ©es, la surveillance de leurs publications et de leurs lectures, la rĂ©quisition de leurs historiques bancaires ou des fichiers dĂ©tenus par les services sociaux, … Le tout, souvent sur la seule base de vagues soupçons. Et Ă  la clĂ©, une violation systĂ©matique de leur intimitĂ© ensuite jetĂ©e en pâture Ă  des policiers, lesquels n’hĂ©sitent pas Ă  Ă  s’en servir pour intimider ou tenter d’humilier lors des interrogatoires, et construire une vision biaisĂ©e de la rĂ©alitĂ© qui puisse corroborer leurs fantasmes.

De plus en plus, c’est la logique mĂŞme de la rĂ©sistance Ă  la dĂ©rive autoritaire qui est criminalisĂ©e. Vous utilisez des logiciels libres et autres services alternatifs aux multinationales qui dominent l’industrie de la tech et s’imbriquent dans les systèmes de surveillance d’État ? Cela suffit Ă  faire de vous un suspect, comme le rĂ©vèle l’affaire du « 8 dĂ©cembre Â» jugĂ©e il y a quelques mois. Vous choisissez des messageries dotĂ©es de protocoles de chiffrement pour protĂ©ger votre droit Ă  la confidentialitĂ© des communications ? On pourra recourir aux spywares et autres mĂ©thodes d’intrusion informatique pour aspirer le maximum de donnĂ©es contenues dans vos ordinateurs ou smartphones. C’est ce dont a Ă©tĂ© victime le photographe mis en cause dans cette affaire. Et si vous refusez de livrer vos codes de chiffrement lors d’une garde Ă  vue, on retiendra cela contre vous et on intentera des poursuites, quand bien mĂŞme l’infraction censĂ©e lĂ©gitimer votre garde Ă  vue s’est avĂ©rĂ©e tout Ă  fait grotesque.

Pour conclure, nous voudrions rappeler que, dans les annĂ©es 30, alors que l’Europe cĂ©dait peu Ă  peu au fascisme, un gouvernement français pouvait faire du pays une terre d’accueil pour les militant·es, les artistes, les intellectuelles. C’Ă©tait juste avant la fin honteuse de la IIIe rĂ©publique, juste avant le rĂ©gime de Vichy. Aujourd’hui, alors que, Ă  travers l’Europe comme dans le monde entier, les militant·es des droits humains, les militant·es Ă©cologistes, celles et ceux qui dĂ©noncent la violence systĂ©mique des États ou les mĂ©faits des multinationales, sont chaque jour plus exposé·es Ă  la rĂ©pression, l’État français se place aux avant-gardes de la dĂ©rive post-fasciste.

Reste Ă  voir si, plutĂ´t que de s’en faire la complice active comme le font craindre les dĂ©cisions rĂ©centes, l’institution judiciaire aura encore la volontĂ© d’y rĂ©sister.


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